RECIT. "Conclave" sur les retraites : comment les négociations, présentées comme "sans totem ni tabou", se sont rétrécies au fil de la concertation

Alors que les discussions entamées il y a quatre mois prennent fin mardi soir, il ne fait plus de doute que la grande refonte du système des retraites espérée par les syndicats n'aura pas lieu.
La montagne va-t-elle accoucher d'une souris ? Le "conclave" sur les retraites prend fin, mardi 17 juin, après quatre mois de tractations menées par cinq participants : le Medef et la CPME côté patronat, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC pour les représentants des salariés. Les discussions finales devraient tout de même se prolonger "jusque tard dans la soirée", confient à franceinfo les différents acteurs de ces négociations. Jusqu'à la dernière minute, chacun espère pouvoir obtenir des concessions, pour apporter des aménagements à la réforme Borne sur les retraites de 2023, et trouver une piste de financement du déficit du système des retraites.
Si aucun accord n'est trouvé, aucun texte final ne débouchera de ces négociations extraordinaires. Pour éviter le scénario du pire et favoriser un compromis, François Bayrou a proposé lundi aux partenaires sociaux la mise en place d'une "prime" pour les salariés seniors qui "décident de rester au travail", en leur versant "une partie de [leur] retraite en plus de [leur] salaire".
"Qu'il y ait un texte signé ou non à la fin, dans tous les cas, ce sera un échec", anticipe la CGT, par la voix de sa secrétaire confédérale, Catherine Perret, interrogée par franceinfo. La représentante n'est restée que trois semaines autour de la table des négociations, avant que la CGT ne décide de quitter le "conclave" avec fracas, le 19 mars. Avant elle, Force ouvrière avait déjà claqué la porte, dès le premier jour des discussions, le 27 février. Catherine Perret, qui a malgré tout observé avec attention l'évolution des discussions après son départ, n'exprime aucun regret. "Cette négociation, c'est une fumisterie. Dans cette discussion, à chaque fois que des petites avancées ont été obtenues, ça s'est traduit par des reculs pour d'autres catégories de salariés", estime la syndicaliste, qui critique des "mesurettes inefficaces".
L'initiative, lancée mi-janvier par François Bayrou se voulait pourtant ambitieuse. Elle devait répondre aux mois de contestation populaire de la réforme des retraites, finalement promulguée et entrée en vigueur en septembre 2023, tout en permettant au Premier ministre, sans majorité à l'Assemblée, d'échapper à une motion de censure en obtenant un sursis du Parti socialiste. François Bayrou a alors promis un trimestre de négociations "sans aucun totem ni tabou". Message reçu cinq sur cinq par les syndicats, qui ont nourri l'espoir de pouvoir revenir sur la très sensible question de l'âge de départ à la retraite à 64 ans, acté par le gouvernement d'Elisabeth Borne.
Mais le 16 mars, changement de ton soudain. Lorsqu'il est interrogé sur la question sur France Inter, François Bayrou calme les velléités syndicales en affirmant qu'il n'est plus possible de revenir sur cette mesure. "Je ne crois pas que la question paramétrique, comme on dit, c'est-à-dire la question de dire 'voilà l'âge pour tout le monde' (...) soit la seule piste", se justifie alors le Premier ministre. La marge de manœuvre des partenaires sociaux est grandement restreinte et cette prise de parole provoque le départ de la CGT.
Les acteurs de la discussion restants fixent, le 3 avril, leur propre feuille de route, en évitant soigneusement de rentrer dans le dur des discussions. Mais le message du chef du gouvernement est bien passé du côté des organisations patronales. "Tout le monde a compris que l'âge de la retraite à 64 ans, c'était acquis", a ainsi déclaré Eric Chevée, représentant de la CPME lors du "conclave", jeudi 12 juin à LCP. Avant d'ajouter : "Enfin, non, tant qu'une négociation n'est pas finie..."
"Forcément, on est déçus, on pensait faire bouger les choses sur les 64 ans", admet, éreintée, Pascale Coton, négociatrice de la CFTC. Ceux qui décident de rester font alors valoir des revendications diverses. Pour la CFTC, la signature d'un accord sera écartée si les organisations patronales refusent d'évoluer sur l'âge de décote, qui impose une pénalité aux retraités partant à l'âge légal sans avoir cotisé suffisamment, en le ramenant à 66 ans (contre 67 ans avec la réforme Borne).
C'est un "point névralgique dans la discussion", acquiesce Yvan Ricordeau, de la CFDT. Le syndicaliste appelle par ailleurs à la reconnaissance de critères ergonomiques de pénibilité "pour que le salarié puisse obtenir un départ anticipé". Sans cela, difficile de signer un éventuel accord.
"Par nature, l'évolution du système des retraites est un dossier compliqué, nous le savions dès le départ. L'enjeu, c'était donc de réussir à obtenir des corrections et des améliorations à la réforme Borne."
Yvan Ricordeau, représentant de la CFDT lors du "conclave" sur les retraitesà franceinfo
A défaut d'avoir pu obtenir un retour en arrière sur l'âge de départ à la retraite, le syndicat a en effet décidé de jeter toutes ses forces dans la bataille sur ces deux points. "La position de la CFDT est claire : la mesure de 64 ans est la plus injuste. Maintenant, l'enjeu pour nous est de trouver un maximum d'améliorations pour les salariés", se défend l'organisation. Des prises de position réaffirmées ces derniers jours, alors que les discussions sont entrées, depuis début juin, dans le "money time", dixit Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT.
Cette politique des petits pas s'est déjà avérée payante sur quelques points. Dans un document recensant ses propositions, et que franceinfo a pu consulter, le Medef, qui n'a pas souhaité répondre à nos questions, se dit ouvert à des concessions concernant la retraite des femmes, avec une révision plus favorable du mode de calcul pour celles ayant connu des interruptions de carrière. L'organisation patronale propose aussi la prise en compte de critères de pénibilité pour obtenir des droits à la formation ou à la reconversion, sans que cela n'ouvre pour autant des droits à la retraite anticipée. Mais le Medef refuse toujours de lâcher prise sur une hausse des cotisations patronales. Cette mesure est pourtant souhaitée par tous les représentants syndicaux pour répondre à l'objectif fixé par François Bayrou de trouver une manière de résorber le déficit du système estimé à 6,6 milliards d'ici 2030.
"Le Medef n'a, durant des mois, donné aucune position claire sur ses volontés. Il a attendu le 10 juin pour poser son pavé", dénonce Christelle Thieffinne, représentante de la CFE-CGC lors des négociations. Elle refuse de se plier aux desidérata du Medef dans la dernière ligne droite. "L'enjeu de mardi, c'est de trouver comment on se rejoint les uns et les autres", insiste-t-elle. Avant de prévenir : "La marche est haute". Et la probabilité d'échec également.
Francetvinfo